Le CAP +, une expérience +++

Créé en 2017 par le CFA du Bâtiment d’Ille-et-Vilaine avec le soutien de la DREETS, de la mission locale et de la FFB Bretagne, le CAP + est un programme de formation spécifiquement dédié aux réfugiés de 16 à 30 ans souhaitant apprendre un métier du bâtiment. S’il est aujourd’hui proposé dans les quatre départements bretons, le CAP + reste encore perçu comme un saut dans l’inconnu. Cet article vise à expliciter ce dispositif en mettant en lumière ses artisans : les entreprises, le CFA et bien entendu les jeunes.

Cécile Pellerin entourée des jeunes en 3ème année de CAP +

La singularité de ce dispositif tient tout d’abord à sa durée, allongée d’un an par rapport à un CAP classique pour permettre une insertion durable de ce public. Les personnes réfugiées ont des origines diverses (afghane, soudanaise, somalienne, syrienne, lybienne, entre autres), des parcours de vie erratiques, ce qui appelle un accompagnement plus approfondi.

UN ACCOMPAGNEMENT SUR MESURE DU CFA

Cécile Pellerin est la référente du dispositif au CFA du Bâtiment d’Ille-et-Vilaine pour les apprentis du CAP + et les entreprises. La première année est une année charnière car « il s’agit de leur redonner confiance », explique-t-elle. Cela se traduit par des cours intensifs de français, avec un rythme d’alternance modifié : deux jours par semaine au centre de formation et trois jours à l’entreprise. En parallèle, le CFA les accompagne dans leurs démarches administratives, en s’appuyant sur le tissu associatif et économique local (logement, soins médicaux, permis de conduire, etc). Pour favoriser leur compréhension des « codes » de la société française, Cécile Pellerin initie également de nombreux projets et sorties extra-scolaires.

LEVER LES APPRÉHENSIONS DES DIRIGEANTS

Hervé Maussion

Redonner confiance à ces jeunes passe aussi par l’entreprise accueillante. Le CFA d’Ille-et-Vilaine a, tout de suite, pensé à solliciter Hervé Maussion. « On a besoin de former du monde à nos métiers, m’impliquer dans ce projet m’a paru naturel », déclare-t-il. Un engagement à relier avec son parcours : lui-même a été formé au CFA avant de reprendre, en 1997, l’entreprise familiale de couverture – rénovation du patrimoine située à Noyal-Châtillon-sur-Seiche.

Aujourd’hui, Maussion Père et Fils compte 42 salariés dont 5 apprentis. « Depuis 2018, j’ai accueilli 4 CAP + et 3 sont encore dans l’entreprise : Naqib, arrivé en 2018, et Zubaer, arrivé en 2021, tous deux en CDI, ainsi qu’Arif, qui vient de terminer son CAP et poursuit sa formation en zinguerie avec nous », poursuit-il.

Progressivement, Cécile Pellerin a étoffé son réseau d’entreprise. Elle travaille en lien étroit avec la FFB d’Ille-et-Vilaine pour faire connaître le CAP +, répondre aux interrogations des entreprises. Au-delà des actions mises en place par le CFA pour atténuer tous les freins dits « périphériques », le dispositif a été imaginé pour être le plus sécurisant possible d’un point de vue juridique, à la fois pour l’apprenti et l’entreprise : les jeunes sont éligibles au statut de réfugié et une période d’essai de 45 jours est prévue en début de parcours. L’implication de Cécile Pellerin joue énormément dans la réussite de ce dispositif comme le souligne Hervé Maussion. Elle adapte en effet le profil du jeune en fonction de l’entreprise et est très mobilisée dans son suivi : « je me déplace deux fois dans les entreprises la première année, et plus s’il y a le moindre souci. On fait en sorte de créer des liens pour dépasser les appréhensions culturelles », indique-t-elle.

La problématique de la langue est le frein le plus régulièrement soulevé par les dirigeants. L’organisation d’un entretien physique et en tête à tête entre l’apprenti et le chef d’entreprise est vivement conseillée : il s’agit de créer un cadre de confiance pour outrepasser la barrière de la langue et se focaliser sur les savoir-être. C’est la démarche qu’a suivie Jean-Christophe Thézé, à la tête de l’entreprise Thézé spécialisée en peinture et revêtements muraux (47 salariés) située à La Mézière : « Ali parlait très peu français mais j’ai senti sa volonté de s’en sortir, son courage. Il s’est très bien intégré dans l’entreprise ».

ASSOCIER LES ÉQUIPES DANS SON PARCOURS D’INTÉGRATION

D’origine afghane, Lutfullah est arrivé en France en 2021 et suit actuellement sa 3ème année de CAP + en électricité. Il livre son ressenti sur cette première année : « on doit fournir un double effort : apprendre le français et en plus le métier. Mais mes collègues étaient très gentil avec moi car ils savaient que j’avais un handicap de langue, ils prenaient le temps de me montrer le geste ».

Jean-Christophe Thézé

Le choix du maître d’apprentissage est un élément clé pour permettre l’intégration de l’apprenti en CAP +. Jean-Christophe Thézé a pris le parti au début « d’associer Ali avec un seul chef d’équipe pour sécuriser les choses. La diversité des chantiers a, par ailleurs, permis d’adapter les missions à ses compétences. Ali a gagné progressivement en autonomie et a eu récemment la responsabilité d’un chantier avec deux intérimaires ».

S’engager dans ce projet requiert plus largement l’adhésion de tous les salariés. Pascal Izabelle codirige une entreprise de maçonnerie-rénovation de 32 salariés située à Brie. Lorsqu’il a repris avec sa femme BM Texier en 2008, « les équipes étaient réticentes aux personnes « extérieures », les intérimaires comme les personnes d’origine étrangère », déclare-t-il. Le rachat d’une autre entreprise a été l’opportunité d’une première ouverture vers la mixité : « les salariés « historiques » ont commencé à fréquenter des gens d’origine différente. Ça a participé à faire évoluer les mentalités ! Les a priori du départ ont, aujourd’hui, complètement disparu ».

Je voulais prouver certaines choses à mon entreprise et à mes salariés, en lien avec l’histoire de mon épouse, partie du Liban à cause de la guerre

Pascal Izabelle

UNE FORCE POUR L’ENTREPRISE

Pascal Izabelle

Toutes ces appréhensions tombent très vite face à la persévérance et l’adaptation dont ces jeunes font preuve et qui sont mises en avant par ces trois chefs d’entreprise. Le CFA est particulièrement attentif à l’apprentissage des savoir-être, recherchés en priorité par les entreprises. Car comme l’exprime Pascal Izabelle, une forte pression pèse sur ce public : « j’ai dit à Shekib « le fait que tu sois étranger, tu devrais toujours faire plus qu’un français. Par contre si tu réussis, tu auras toujours plus de reconnaissance et de mérite » ».

Par l’accompagnement sur mesure qu’il propose, par l’engagement des différentes parties prenantes, ce dispositif produit de belles réussites. Les entreprises qui ont témoigné dans cet article l’illustrent bien ! Pour l’ensemble des dirigeants et leurs équipes, la mixité et la solidarité que cette expérience a amenées sont une force pour l’entreprise. « Ces jeunes sont des moteurs pour les autres salariés car ils sont engagés. Il faut passer la barrière de la langue et après c’est bon », conclut Cécile Pellerin.

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